Noël Forgeard mis en examen pour délit d'initié
Par Thierry Lévêque Reuters - Vendredi 30 mai, 07h10
PARIS (Reuters) - Noël Forgeard, ancien co-président du groupe EADS, a été mis en examen pour "délit d'initié" dans la nuit de jeudi à vendredi dans l'enquête sur les ventes massives de titres juste avant l'annonce des retards de production sur l'A380 en juin 2006, a annoncé son avocat Jean-Alain Michel.
C'est la première mise en examen d'un dossier qui concerne potentiellement, au total, 17 personnes physiques et deux sociétés Lagardère et DaimlerChrysler, soupçonnées officiellement dans un rapport de l'Autorité des marchés financiers (AMF), remis à la justice.
Après un jour et demi de garde à vue à la brigade financière et trois heures d'audition par les juges, Noël Forgeard, 61 ans, a été laissé libre sous contrôle judiciaire, (ce matin) avec obligation de verser une caution dont Me Michel n'a pas souhaité préciser son montant. Le parquet réclamait un million d'euros. (C'est bien 1 million d'euros que N.Forgeard a versé).
L'ex-patron d'EADS est soupçonné d'avoir profité d'informations "privilégiées" sur les retards de production de l'avion géant A380 et sur le programme A350, pour vendre en novembre 2005, puis en mars 2006 ses stock-options de la société, ce qui lui a rapporté plus de quatre millions d'euros.
Les retards de production n'ont été annoncés officiellement que le 13 juin 2006, ce qui avait provoqué le lendemain une chute du titre EADS de 25% sur les marchés.
Noël Forgeard a nié tout délit devant les juges d'instruction Xavière Simeoni et Cécile Pendariès, qui lui ont notifié les charges, a rapporté son avocat. Le délit d'initié est passible de deux ans de prison et d'une amende pouvant aller jusqu'à dix fois le montant du produit du délit.
Après un long débat, les juges n'ont pas retenu contre lui l'autre incrimination de "diffusion d'informations fausses ou trompeuses aux marchés financiers", visée aussi dans l'enquête ouverte en novembre 2006 sur plainte de petits porteurs.
Ce grief concerne les informations optimistes diffusées aux actionnaires par la direction d'EADS avant l'annonce concernant l'A380. Une intention de dissimulation est soupçonnée.
AUTRES PERSONNES CONVOQUÉES
Noël Forgeard est "très accablé" par sa mise en examen, a dit Me Michel. Il a mal vécu ces deux rudes journées, entrecoupées d'une nuit à l'hôpital due à un léger problème respiratoire et terminées par un transfert devant les juges à 22h00 dans un convoi de trois voitures de police.
"Lorsqu'on est M. Forgeard, qui a tout de même un passé industriel relativement exceptionnel, c'est très difficile de se retrouver en garde à vue, (...) mais il est courageux, a tenu le choc, a répondu aux questions et ça va. Il a le moral", a dit Me Michel. Il sera à nouveau interrogé, a-t-il précisé.
"Je suis convaincu que nous parviendrons à démontrer qu'en définitive, il n'a pas commis de délit d'initié. Nous avons de très bons éléments pour cela", a ajouté l'avocat.
Président d'Airbus de 1998 à 2005 puis co-président d'EADS de juin 2005 à juillet 2006, Forgeard a quitté la société avec une indemnité de huit millions d'euros qui a fait scandale et amené une enquête de police distincte, toujours en cours.
Il n'est de loin pas le seul visé par la justice. Certaines au moins des 17 personnes visées par l'AMF vont être convoquées par la police et les juges a confirmé Me Michel.
Noël Forgeard pense que "personne ni parmi les dirigeants, ni parmi les cadres, ni parmi les actionnaires, n'avait commis le moindre délit d'initié", a rapporté Me Michel.
Deux sociétés également concernées, Lagardère et DaimlerChrysler, principaux actionnaires privés d'EADS - qui ont cédé chacun 7,5% du capital du groupe le 4 avril 2006 - nient aussi tout délit d'initié.
Parmi les personnes ayant vendu des titres dans la période litigieuse et réalisé des gains de plusieurs millions d'euros, figurent notamment l'ancien co-président d'EADS Thomas Enders, devenu directeur d'Airbus,François Auque, directeur de la division spatiale du groupe EADS, Jean-Paul Gut, ex-directeur général délégué et Jussi Itavuori, directeur des ressources humaines.
----------------------------------------------------
De Bertrand Langlois AFP, hier jeudi 29 mai 2008
Noël Forgeard le 28 mai 2008 à son arrivée à la Brigade financière à Paris :
L'ancien coprésident d'EADS, Noël Forgeard, a été placé mercredi en garde à vue à Paris dans le cadre de l'enquête sur des délits d'initiés présumés en 2005 et 2006, qui touche les plus hauts dirigeants du groupe européen d'aéronautique et de défense.
La garde à vue de M. Forgeard, 61 ans, peut durer jusqu'à 48 heures à l'issue desquelles il est susceptible d'être présenté aux juges d'instruction en vue d'une éventuelle inculpation.
Si M. Forgeard était inculpé, il serait alors le premier dirigeant mis en cause par la justice dans le cadre d'une enquête ouverte le 20 novembre 2006 contre X pour "délit d'initié, diffusion de fausses informations et recel sur le titre de la société", à la suite du dépôt de plaintes notamment d'une association de petits porteurs d'actions EADS, l'Appac.
Son ancien chef de cabinet, 51 ans, dont l'identité n'a pas été révélée et placé en garde à vue mardi, était également entendu mercredi mais ne devrait pas être présenté aux juges, a révélé une source proche du dossier. Il ne fait pas partie de la liste des 17 dirigeants d'Airbus et d'EADS
à qui l'Autorité des marchés financiers a envoyé des griefs pour avoir "manqué à une obligation d'abstention" en vendant leurs stock-options en novembre 2005 et en mars 2006 alors qu'ils détenaient, selon le gendarme de la Bourse, des informations privilégiées.
EADS et sa filiale Airbus ont refusé mercredi tout commentaire. Lundi le numéro un du groupe Rüdiger Grube avait affirmé qu'EADS devait se défendre "avec fermeté" des accusations de délits d'initiés, soulignant ne pas douter de "l'intégrité de l'équipe dirigeante".
Selon les plaignants, plusieurs hauts dirigeants et cadres d'EADS, dont M. Forgeard, auraient massivement vendu leurs actions EADS avant l'annonce de nouveaux retards du programme d'avion géant A380, qui avait fait plonger le titre en Bourse.
Plusieurs perquisitions ont été menées depuis 2006 dans le cadre de cette enquête.
M. Forgeard et 16 autres dirigeants du groupe ont été mis en cause par l'Autorité des marchés financiers (AMF, gendarme de la Bourse française) dans une enquête transmise à la justice française en avril qui fait état de "délit d'initiés massif".
Parmi eux figurent l'Allemand Thomas Enders, alors coprésident exécutif d'EADS et aujourd'hui patron d'Airbus, le Français Jean-Paul Gut, alors directeur général délégué d'EADS, ou encore l'Allemand Gustav Humbert, alors coprésident d'Airbus. Les groupes français Lagardère et allemand DaimlerChrysler, actionnaires d'EADS, sont également pointés du doigt.
Dans son rapport, transmis à la justice le 9 juin, le gendarme de la Bourse estime notamment que tous ces dirigeants étaient informés des perspectives financières pessimistes du groupe.
L'AMF affirme que M. Forgeard a cédé, le 17 novembre 2005 puis les 9 et 15 mars 2006, un total de 360.000 actions EADS, provenant de l'exercice de ses stocks-options, pour un montant de 4,3 millions d'euros. Quelques mois plus tard, le 13 juin 2006, Airbus annonçait un retard de six à sept mois dans son calendrier de livraisons de l'A380, provoquant dès le lendemain une chute de plus de 28% du cours de l'action EADS. M. Forgeard a fermement nié pour sa part tout délit d'initié se voyant comme "un bouc émissaire commode".
Il avait dû démissionner en juillet 2006 sur fond de fortes tensions au sein de la direction franco-allemande et de difficultés financières du groupe.
La révélation dans la presse en 2007 d'une indemnité de départ de 8 millions d'euros qui lui avait été versée, avait été à l'origine d'une vive polémique.
Airbus, filiale d'EADS, se débat dans une crise sans précédent liée aux retards de production de son avion géant A380, qui accroît les tensions entre la France et l'Allemagne sur la répartition des pouvoirs au sein du groupe européen. 10.000 suppressions d'emploi sont prévues chez l'avionneur et ses sous-traitants.
Bertrand Langlois AFP ¦
Noël Forgeard le 28 mai 2008 à son arrivée à la Brigade financière à Paris