Jeudi 15 février, Macha Makeïeff, à la tête du Théâtre national de Marseille La Criée, proposait dans sa petite salle une soirée dédiée à Lacan et l’amour, Lacan à minuit. 5 intervenants au menu : Philippe Bera (éditeur, membre de l’École de la Cause freudienne, ECF), François Rouan (peintre), François Regnault (philosophe, membre de l’ECF), le médiatique psychanalyste Hervé Castanet, et Macha Makeïeff elle-même. Le programme annonçait une discussion. La salle était bourrée de curieux, comme moi, ou d'adeptes comme l’ami qui m’accompagnait. Mais lui, on ne peut plus rien faire pour lui.
Décor. Macha Makeieff est assise sur une chaise de profil, seule à quelques mètres des 4 autres qui eux font face au public. Elle regarde donc la tablée latéralement et pas le public. Posture du psy à l'écoute. Mise en scène narcissique. Lacan se profile. En face d'elle, un pupitre qu'elle seule utilisera lors de ses lectures. Elle a un micro HF à l'oreille, les autres ont chacun un gros micro devant eux qu'ils utiliseront dans leur temps de parole. Tous ont leur texte devant eux.
Aucune présentation. Le public se doit d’avoir bossé son programme ou de connaître ces quatre perroquets lacaniens. Hervė Castanet, premier à prendre la parole avec une surprenante voix de Lacan, brosse dans le sens du poil le théâtre et le génie de sa directrice ici présente dans sa quête artistique. Longue introduction lechetteuse. Le public attend la saucée divine. Pour Jacques il est venu.
Quand Macha Makeieff enfin se lève et rejoint le pupitre, je me suis crue enfant à la messe. Long texte d’une voix soporifique de Sainte Thérèse d’Avila (carmélite espagnole du XVIs) et de la mystique brabançonne, Hadewijch d’Avers (XIIIs). "(...) l'amour... oui... l'amour... l'amour...", multiples pauses avec un regard d'outre-tombe les yeux fixes. Macha est de noir vêtue. Elle porte un long manteau, pantalon, des lunettes de soleil plutôt rondes qu'elle met de temps en temps quand elle ne parle pas, assise sur sa chaise. Certainement pour se protéger de l’éblouissement de cette Cène-là devant elle, mais ils ne sont que quatre...
Elle poursuit, Trotsky hiératique, déesse noire coiffée de certitude sacrée. Ha "l'amour... oui... l'amour... l'A-mour... est Tout." Le ’Tout’ est planté comme une évidence universelle d'une note basse et étouffée. Comme Thérèse d’Avila ’qui jouit de ce qu’elle ne comprend pas’. Long silence en guise de point. Et les points elle adore ça Macha. Quand elle a fini sa divine parole, la déesse redrape ses voiles mal amidonnés qui eux se marrent bien. Et s'assoit sans bruit. Même sa chaise est coite. D'un cil elle ordonne aux autres attablés de prendre son relais éclatant. Mais la salle s’ennuit. J'entends chuchoter dans le rang derrière, "c’est chiant, mais que c’est chiant". Bon, ça commence quand Lacan ?
François Regnault avec son ’Quel amour ? Courtois’ et Encore’ d’Hervé Castanet furent transparents, quasiment aucune analyse psychanalytique et très peu de liens sur le thème annoncé. Aucune détronche en perspective. Shit. Enfin, un bref passage d'un extrait du séminaire 21 de l'idole en question sur le programme, ’Lacan, psychanalyse et amour’. Puis, présenté par l'éditeur Philippe Bera, une projection du film de son voisin de table le peintre François Rouan ’De la ressemblance’ (présenté à la villa Médicis) projection sur, je cite Rouan, "les différentes strates de l'amour". En fait le film n'est qu'une série de photos de jeunes filles nues, vulves offertes, qui se croisent ou se superposent (d'où les strates) sur une bande-son musicale style Vangelis. Les rires et réflexions des jeunes modèles rythment la musique. Attention, François Rouan est un spécialiste du tressage et fut proche de Balthus et de Lacan.
Rouan explique au public hébété qu'il avait filmé et enregistré pendant 3 semaines une dizaine d'heures par jour ces jeunes filles, l'ennui, la douleur des longueurs des poses les poussant tôt ou tard à réagir. Elles étaient séparées par un miroir sans tain. Lui, silencieux, dans l'oeil de sa caméra, Woody Allen appliqué, attendait la fulgurance des famous strates de l'amour qui ne saurait tarder. Il signale que les modèles devaient être soutenues par des Atlantes lesquels ont été finalement coupés au montage. Et bien croyez-le ou pas, le miracle alors qu'il ne l’attendait plus a eu lieu le dernier jour de tournage. Bon... et Lacan dans tout ça ?
Bref, ce gros dégueulasse n'a pas vraiment convaincu car entre la Macha outretombeuse, le psy inexistant, le cinéaste pervers artistique et la tête d’affiche Lacan absente, les gens en manque ont commencé à partir petit à petit. Pendant ces 2h30 (oui oui !) de lectures sans interruption, on entendait le craquement des marches sous les pas des gens fuyant petit à petit. Bruit constant, grinçant, permanent, qui faisait grimacer les sublissimes intervenants. Seule, Macha-la-Magnifique, de profil avec ses lunettes-écran, plutôt proche de l’escalier de la sortie, restait dans son marbre noir. No réaction terrestre.
Conclusion. Bien joué au niveau de la com accrocheuse et menteuse. Petite maligne Macha Makeieff. Mais c'est pas sûr que ça marche une autre fois. La salle de 262 places de moitié s'est vidée une heure avant la fin. Maigres applaudissements. La déesse noire s'est éclipsée en une fraction de seconde certainement téléportée par Sainte Thérèse tout là-haut furieuse contre ce public de mécréants idiots. Mon ami est parti lui aussi furieux d'avoir supporté ses multiples crampes et juré sur Lacan qu’on ne l’y reprendrait plus. Lacan, marque d'une lessive qui ne lave jamais.
Game over.
-Macha Makeïeff -Philippe Bera -François Rouan -Hervé Castanet -François Regnault
Hadewijch d’Anvers (poétesse mystique branbaçonne du XIIIs) : https://www.babelio.com/livres/dAnvers-Hadewijch-dAnvers--Une-femme-ardente/363407
L'extase érotique de Sainte Thérèse d’Avila : http://nuageneuf.over-blog.com/article-sainte-therese-d-avila-extrait-115672998.html